Alberto Savinio 

Andrea De Chirico
Écrivain, peintre et musicien italien (Athènes, 1891 — Rome, 1952).

Il participa avec son frère Giorgio De Chirico à la formation du groupe Novecento. Sa peinture fantastique et inquiétante se rattache au mouvement surréaliste, dont il fréquenta les membres dans les années 1930. La même atmosphère se retrouve dans sa production musicale (deux opéras dont Orfeo vedovo, 1950; quatre ballets, 1922-1951). En littérature, il laissa plusieurs ouvrages, chroniques et romans (Hermaphrodite, 1918; la Maison inspirée, 1925; Achille énamouré, 1938; Narrez, hommes, votre histoire, 1942; Toute la vie, 1946, et Encyclopédie nouvelle, 1978).

Texte emprunté à Yahoo!Encyclopédie.

 
Moins académique mais beaucoup plus parlant, j'ai trouvé ce texte sur http://perso.wanadoo.fr/nathalie.diaz, dans la catégorie "coup de cœur", plusieurs articles intéressants sur divers sujets y sont réunis alors si vous avez un peu de temps...
En attendant voilà qui est (vraiment) Alberto Savinio :

 

Longtemps j'ai cru qu'Alberto Savinio et Andrea de Chirico étaient frères, seulement frères, le premier tout dédié à la littérature et le second à la peinture. Je connaissais bien le second avant de parvenir au premier, c'est-à-dire en fait de compte au même !

Ce quiproquo a pris fin grâce à un article paru dans "Le monde de la Musique" en 1989 écrit par René de Ceccaty, m'apprenant ainsi l'identité véritable de ce touche à tout singulier. Nous y voilà donc, Alberto Savinio, de son vrai nom Andrea de Chirico est né à Athènes en 1891 (le 25 août) de parents italiens. Il est également le frère de Giorgio de Chirico, le peintre...qui créa la peinture métaphysique : l'un et l'autre étaient si proches qu'on les appelait les Dioscures !

C'est pas fini... Andrea Savinio est l'annuaire des pages jaunes à lui tout seul (comme Hans Henny Jahnn). Féru de latin, de philosophie et d'histoire, c'est d'abord vers la musique qu'il se tourna. Musicien doué (prix de piano et de composition au Conservatoire d'Athènes, premières compositions dès l'âge de douze ans : un requiem et Opéras). A 15 ans il compose "Carmela" et part étudier l'harmonie et le contrepoint auprès de Max Reger à Munich. Séduit par ses compositions Diaghilev l'invite à Paris. Là il rencontre et se lie à Apollinaire, Cocteau, Picasso, Picabia, Igor Stravinsky qu'il admire, collabore aux Ballets Russes, écrit Opéras et ballets ainsi que de nombreux poèmes. Son écriture musicale préfigure les Klavierstrücke de Stockhausen ou les oeuvres de Pierre Boulez. A cette époque faste et riche en rencontres décisives, Apollinaire nous décrit cette vitalité frénétique qui agite le jeune Savinio au travers d'un portrait saisissant :" Il se tient à son piano, en bras de chemise, monocle à l'oeil, se démène, hurle, tandis que l'instrument fait ce qu'il peut pour atteindre au diapason enthousiaste du musicien". Pourtant à l'âge de 24 ans s'opère une rupture, Savinio prend soudain peur. Peur pour "ne pas être soumis à la fascination de la musique". Il abandonne donc momentanément cet art pour se consacrer à ce qu'il maîtrise avec autant de talent : la peinture et la littérature.

Plonger dans ses livres c'est entrer dans un univers vaste et riche où la félicité est le guide. Le livre que je préfère (si tant est il est possible de préférer) est celui qu'il a consacré à Milan et qui s'intitule "Ville, j'écoute ton coeur" (Gallimard, 1982). Dès les premières pages, l'enchantement s'opère. Juste avant Milan, Venise d'abord "assise dans l'eau", là où "vingt langues de l'Europe passent en serpentins au milieu de la foule", qui sert d'appui à toute une digression douce et calme sur le pain, Nietzsche, Guardi, le musée Poldi Pezzoli. Ah oui parce que ce livre est ainsi, à nous promener dans une ville certes au travers de ses rues mais aussi au travers de sa mémoire : celles des gens qui y ont vécu ou qui y sont morts, comme Wagner le 13 février 1883, racontant sur le coup une anecdote amusante d'un chef de gare attendant le convoi transportant le corps d'un certain el Vanièr (c'est-à-dire Wagner en personne). Savinio lui, marche, poursuit son exploration "dans les viscères de Venise" et module ses écrits selon l'allure de son pas, "le pas de ses pensées" comme dirait Nietzsche et les analogies inattendues que suscite sa mémoire.

Ce livre est celui d'un voyageur qui chemine, qui voit d'abord à l'extérieur ce qu'il porte en lui-même, et puis qui accède au coeur du coeur, à ce coeur intérieur qui bat dans cette ville Milan qui n'existe plus (cette pérégrination ayant lieu avant les bombardements qui la détruisirent durant la seconde guerre mondiale). Coeur qu'il écoute et dont il nous livre les battements secrets.

Ainsi ce récit est truffé de magnifiques passages sur les grands thèmes qui font une ville, qui font une civilisation (son oeuvre aborde toutes les civilisations, qu'elle soit égyptienne, hébraïque, étrusque, grecque, romaine, nordique), qui font les hommes et façonnent l'Homme. Avec ce don merveilleux de rendre délicieusement vivante l'érudution. A l'écoute de ce qu'il dit, on apprend plein de petits détails impressionnants et touchants : comme par exemple que les jardins de Venise furent faits par Napoléon pour peut être "se faire pardonner les cimetières".

D'admirables méditations sur Palladio, le Giotto de Padoue dont la peinture est "mère des jouets", émaillent puis forment ce texte enjoué et vivant qui évoque tour à tour, Verdi, Stendhal, le théâtre de Milan, la Scala, les charmes de Milan exercés sur les uns et les autres, les arts dont la ville regorgent, nous laissant un très beau témoignage sur les artisans, c'est-à-dire ceux qui "pensent avec leurs mains". De cette façon manuelle d'agir qui est somme toute essentielle car "là est le mystère des choses, le mystère du monde, le mystère de l'univers : dans le moyeu de la roue; non point hors du monde, comme le croient les têtes molles, les homme sans mains". Contemplant le travail d'un potier il déclare le regarder "comme on regarde les vagues de la mer se poursuivre et s'étendre sur le sable, comme on regarde éclore et se déliter dans le ciel les roses de fumée sur le cratère du Vésuve". L'oeuvre de l'artisan lui paraît ainsi "la chose qui garde le sens de notre condition mortelle, qui est notre immortalité". Savinio pénètre Eglises et jardins, les dessine sur un carnet qui ne le quitte pas et qui pique la curiosité de chats qui viennent soudainement vers lui avec audace. Evoque Saint Ambroise, passe devant le Palais Royal puis bascule dans la ville nouvelle, "ville dure", ville de fer", reconnaît un immeuble où il croisa un jour Guiseppe Ungaretti encore habillé en soldat, se rappelle et dit "On m'a dit que son petit garçon était mort. je conserve encore sa lettre d'il y a dix ans où il m'annonçait que lui était né le "sieur Antonio". par delà tant de mers, que peut ma fraternelle étreinte?".

Ce livre se termine sur un hymne dédié à cette ville si "exquisément grecque" : bref cette ville qui lui permit de se souvenir et de se retrouver lui même, se mêlant à ce grand Tout étourdissant et rythmé qu'il exprime magnifiquement dans ce beau volume dont la hauteur de vue est séduisante de page en page.

Un moment lui vient cette pensée qui pourraît être écrite ce matin : "La connaissance, comme un bateau qui ne peut caler ses voiles, s'éloigne de plus en plus vers les choses que la main n'arrive plus à atteindre ni l'oeil à voir. L'intelligence de l'homme perd peu à peu son caractère "manuel" et se liquéfie. Et quand la liquéfaction ne suffit plus, l'intelligence "s'atmosphérise", devient particule dans l'espace. Et quand l'état d'espace dans l'espace prend encore trop corps, est encore trop "touchable", l'intelligence s'anéantit. La fin du monde adviendra par la tentation de l'infini."

Alberto Savinio a écrit d'autres importants ouvrages : une "Encyclopédie nouvelle" (Gallimard, 1980) pour faire comme un pied de nez à toutes les encyclopédies qui existent et qui ne le satisfont pas. Une "Boîte à musique" (Scatola sonora) qui évoque la musique au travers de ses rythmes et créateurs.

Il est mort à l'âge de soixante et un ans, des suites d'un infarctus à Rome, le 5 mai 1952 jour qu'il avait prévu dès 1938 dans son livre Achille Enamouré (Gallimard, 1979); "Aujourd'hui, c'est le 5 mai. Mon heure a sonné"....et la veille en rentrant chez lui, il avait glissé dans la boîte aux lettres du gardien de son immeuble une enveloppe contenant quelques billets et ce mot : "L'obole à Charon". Et enfin, mourant dans les bras de son frère il avait dans l'éclat de son regard la douce fermeté de "celui qui Sait".

 La plupart de ses livres est accessible aux éditions Gallimard, dont un dans la collection Folio (n°2534) : "Toute la vie" ; aux éditions Flammarion : "Monsieur Dido" (1983), aux éditions Fayard : "Souvenirs" (1986), "Hermaphrodite" (1987), "La maison hantée" (1988), "La Boîte à musique" (1989).

Aux éditions Allia "L'intensité dramatique de Léopardi" (1996), Aux éditions Christian Bourgeois : "Destins de l'Europe" (1990)