Crépuscule

 

 
Le zéphir souffle doucement,

Le flot roule lentement,

La terre est déserte

Comme un tombeau.

 

       " Maman, voici la nuit. "
     C'était une voix puérile. Celle, vraisemblablement, d'un jeune hébreu à la destinée algébrique.
     Les lutteurs, desserrés et leurs jambes trainant par terre, se dressèrent sur leurs coudes comme des phoques sur leurs nageoires.
     Mais à la suite de l'appel enfantin, la Nuit - car c'était elle - sortit du ciel aux arrabesques multicolores, telle une dame qui écarte les rideaux de son boudoir.
     Dans ces régions inhospitalières et inquiètantes, dans ces régions réfractaires à tout confort et à toute tièdeur de vie, dans ces régions battues par les grandes lames de fond d'une fatalité sinistre, la Nuit est une femme brune et massive, pesante et inagile coome une sultane et dont la peau huileuse comme l'épiderme d'un lutteur turc, présente le blanc jaunatre d'un laitage qui commencerait à tourner sous l'action d'une haute température. Elle réalise le type de la femme fatale tel que l'illustraient les drames passionnels du cinéma à ses débuts, et aussi le modèle de la "belle femme" tel que le concevait l'esthétique des messieurs du siècle dernier.
     Mais à l'Eveilleur des Dieux, qui avait connu d'autres Nuits - notamment la Nuit d'Occident qui est blonde et dont le corps se cambre en de nerveuses vibrations athlétiques, la Nuit du Nord dont la blanche chevelure encadre un visage frais et rose de jeune fille aux seins citonneux -, à l'Eveilleur des Dieux, cette nuit orentale et antidivine par excellence n'inspirait que coliques et nausées.
  A. Savinio,
Introduction à une vie de Mercure