Guillaume Apollinaire 

 

 

Wilhelm Apollinaris de Kostrowitzky
Poète français (Rome, 1880 — Paris, 1918).

Entre les symbolistes et les surréalistes, Apollinaire, «voyant» comme Rimbaud, musicien désenchanté comme Verlaine, précieux comme Mallarmé, a indiqué toutes les voies de la modernité et réinventé le langage poétique.

Wilhelm Apollinaris de Kostrowitzky
De la Seine au Rhin
· Bohème et écrits alimentaires
· Annie Playden
Les années Montmartre
· Marie Laurencin
· D l'affaire de «la Joconde» à «Alcools»
L'amour, la guerre, la mort
L'œuvre
· Ambiguïté et double sens
· 
Du lyrisme à l'humour

Wilhelm Apollinaris de Kostrowitzky

Le 26 août 1880 naît à Rome un fils naturel d'Angelica Kostrowicka, une Polonaise de vingt-deux ans; le garçon se prénomme Wilhelm Apollinaris. La jeune femme vit avec un officier italien, Francesco d'Aspermont, qu'elle quitte après la naissance d'un second enfant, Albert. Angelica – qui se fait à présent appeler Olga – entraîne les Kostrowitzky dans une vie aventureuse à travers l'Europe.

Après une enfance italienne, Guillaume fait de brillantes études à Monaco, puis à Cannes et à Nice. Est-ce la marque du midi solaire s'il choisit de prendre pour nom un prénom qui évoque Apollon, maître de la lyre et du Soleil? Avant d'opter pour Apollinaire, il a signé ses premiers poèmes, en 1897, du pseudonyme «Guillaume Macabre». Il a trouvé sa vocation : jugeant superflu de poursuivre ses études, ce collectionneur de prix d'excellence quitte le lycée sans passer le baccalauréat. À cette époque, il se veut anarchiste et dreyfusard.

De la Seine au Rhin

Apollinaire, déjà venu à Paris pour l'Exposition internationale de 1889, s'y installe définitivement dix ans plus tard.

Bohème et écrits alimentaires

La mère de Guillaume vit à Paris avec Jules Weil, qu'elle fait passer pour un parent. L'«oncle» s'installe quelques mois plus tard à Stavelot, dans les Ardennes belges, où ses prétendus neveux viennent passer d'agréables vacances. Mais, leur mère ayant inconsidérément dilapidé à Spa leurs frais de séjour, ils doivent déménager à la cloche de bois. De retour à Paris, Olga de Kostrowitzky, pour échapper aux recherches de ses créanciers, se fait ingénument appeler Olga Karpov. Bientôt démasquée, elle doit conclure un arrangement à l'amiable avec l'hôtelier furieux.

À vingt ans, Guillaume se fait recenser à la mairie comme étranger («Taille: 1,65 m. Cheveux: blonds. Barbe: néant. Teint: frais.»). Pour gagner sa vie, il fait de médiocres travaux de secrétariat et écrit des romans pornographiques et alimentaires. Il rencontre Linda Molina da Silva et en tombe amoureux, sans succès, ce qui sera une des constantes de sa vie: en permanence épris, il est souvent éconduit.

Annie Playden

Par chance, il est engagé pour enseigner le français à une jeune aristocrate, Gabrielle de Milhau. Madame la vicomtesse, d'origine allemande, part pour la Rhénanie, emmenant avec sa maisonnée une jeune gouvernante anglaise, Annie Playden, dont le jeune précepteur s'éprend. Hélas, la puritaine jeune fille ne voit pas l'amoureux idéal en cet Italien trop empressé.

À partir de février 1902, Guillaume parcourt l'Allemagne et l'Autriche, puis rentre à Paris. Pour vivre, il se fait embaucher dans une banque, tout en donnant des articles à des journaux. Il publie des poèmes et se lie avec des hommes de lettres, parmi lesquels André Salmon, Alfred Jarry, André Billy et Max Jacob, qui l'appellent «Kostro».

En novembre 1903, à Londres, un nouvel échec auprès d'Annie lui inspire «la Chanson du Mal-Aimé» :


Adieu faux amour confondu
Avec la femme qui s'éloigne
Avec celle que j'ai perdue
L'année dernière en Allemagne
Et que je ne reverrai plus.

Kostro devient rédacteur en chef de deux revues, l'une consacrée aux spéculations boursières et bien éloignée de l'autre, le Festin d'Ésope, vouée à la poésie, et qui publie, en 1904, l'Enchanteur pourrissant.

Au cours d'un second séjour en Angleterre, il propose à Annie de l'enlever à ses parents, pour les forcer à accepter leur mariage. La jeune fille, sidérée, rompt définitivement avec cet exalté, et s'embarque pour l'Amérique, laissant le poète meurtri.

Les années Montmartre

En avril 1905, dans la Revue immoraliste, Apollinaire signale à ses lecteurs le talent d'un jeune artiste espagnol récemment débarqué à Montmartre, Pablo Picasso. Il est le premier à célébrer l'art naïf du Douanier Rousseau, parle avec admiration de Matisse, préface la première exposition de Georges Braque, voyage en Angleterre avec Picabia. Il se réunit avec ses amis poètes au Bateau-Lavoir et assiste à la gestation du cubisme dont il sera un des animateurs et théoriciens (les Peintres cubistes, 1913). Derain illustre l'Enchanteur pourrissant, Dufy le Bestiaire; Metzinger et Chirico font son portrait.

Marie Laurencin

En attendant, il travaille toujours à la banque, et continue ses publications érotiques vendues sous le manteau (les Onze Mille Verges). Ces activités lui permettent enfin, l'année suivante, de quitter le domicile maternel et de s'installer seul. Il tombe amoureux des œuvres – et de la personne – de Marie Laurencin. En 1908, le Douanier Rousseau fera un portrait naïf du couple, la Muse inspirant le poète.Apollinaire publie dans diverses revues les poèmes rassemblés plus tard dans Alcools. En 1909, il lance l'édition commentée des Maîtres de l'amour, anthologie de la littérature érotique. Le premier volume rassemble des œuvres de Sade, alors complètement interdit par la censure.

De l'affaire de «la Joconde» à «Alcools»


Le 21 août 1911, on vole la Joconde. L'enquête effraie Apollinaire: un ami lui a confié un buste volé au Louvre. Il le restitue. Mal lui en prend: soupçonné de complicité, il est incarcéré à la prison de la Santé. Il trouve, à cette occasion, des accents verlainiens:

J'écoute les bruits de la ville
Et prisonnier sans horizon
Je ne vois rien qu'un ciel hostile
Et les murs de ma prison.

Il est libéré, mais cette mésaventure le laisse désemparé. Une certaine presse le traite de «métèque», l'accuse de pornographie, et il redoute d'être expulsé. Cependant, il voit publier plusieurs de ses œuvres. L'Enchanteur pourrissant paraît en volume en 1909. L'année suivante, l'Hérésiarque et Cie rate de peu le prix Goncourt. En 1911, c'est le Bestiaire ou Cortège d'Orphée. Avant d'être rassemblés en volume, les poèmes d'Alcools sont publiés dans des revues: en 1912, dans les Soirées de Paris, «le Pont Mirabeau» et «Vendémiaire», le premier poème sans ponctuation. Dans le catalogue de l'exposition de Robert Delaunay – auteur des toiles les Fenêtres simultanées – paraît le poème «les Fenêtres».

En 1913, Apollinaire place en tête des poèmes d'Alcools (écrits pour certains d'entre eux dès 1902) un texte, «Zone», d'inspiration toute récente, proche des Pâques à New York de son ami Blaise Cendrars. Mais le journal chic de l'époque, le Mercure de France, l'éreinte. Et peu de temps auparavant, Marie Laurencin a quitté le poète.

Apollinaire est vivement intéressé par le futurisme, tant littéraire – il aurait rédigé le Manifeste futuriste pour le compte de l'Italien Filippo Tommaso Marinetti – que pictural – il est témoin au mariage du peintre Gino Severini.Ce faisant, il se situe, une fois pour toutes, à l'avant-garde.

L'amour, la guerre, la mort

En 1914, Apollinaire demande à s'engager. Mais on n'a que faire d'étrangers dans un conflit que l'on pense bref. À Nice, il rencontre une aristocrate, Louise de Coligny-Châtillon, et lui fait la cour, en vain. Après une nouvelle demande d'engagement, il est versé au 38e régiment d'artillerie de Nîmes. Louise, qui a résisté à l'empressement du poète, cède au charme de l'artilleur.

Pendant une permission, dans un train qui le ramène vers «Lou», il rencontre une jeune fille, Madeleine. Amours orageuses avec l'une, tendre correspondance avec l'autre, sa «marraine de guerre», qu'il pensera même épouser, au grand dam de sa famille.

En février 1916, il cherche à publier son dernier ouvrage, le Poète assassiné. Un mois plus tard, il est touché à la tempe par un éclat d'obus. Remis sur pied, Apollinaire veut remonter au front, mais d'incessants maux de tête le font réformer, et la vie nonchalante reprend. Les jeunes poètes fêtent Apollinaire, publient ses textes dans leurs revues les plus avant-gardistes (Nord-Sud, 391, SIC). Mais 1918 est une année tragique pour Apollinaire. En janvier, il est atteint de congestion pulmonaire. Marié en mai avec une «jolie rousse», Jacqueline Kolb, il contracte la grippe espagnole en novembre. Affaibli par la guerre et ses récentes maladies, il meurt la veille de l'Armistice. Le 13 novembre, on l'enterre au Père-Lachaise. Autour de ses amis effondrés, la foule en liesse chante «À bas Guillaume!» – non le poète, mais l'empereur d'Allemagne vaincu.

Cette même année paraîtront ses chroniques le Flâneur des deux rives.

L'œuvre

Ambiguïté et double sens

La légende dit que c'est au dernier moment avant la mise sous presse qu'Apollinaire décida de supprimer totalement la ponctuation d'Alcools. Le moindre exemple prouve assez ce que les vers y ont gagné:

Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours,
Faut-il qu'il m'en souvienne ?

Tel était le début du «Pont Mirabeau». La suppression de la ponctuation, outre qu'elle favorise une diction plus fluide, produit également des ambiguïtés riches de sens. Ainsi, à l'oreille, les amours coulent aussi bien que la Seine, créant non seulement cette rare figure de style appelée «zeugma», mais encore une simultanéité de significations riche d'interprétations. Sur un autre plan, le dernier vers de «Nuit rhénane», «Mon verre s'est brisé comme un éclat de rire», joue sur un autre double sens, tout aussi fréquent: «éclat» renvoie à «verre» et à «rire». Ces ambiguïtés peuvent aller jusqu'à devenir la matrice de tout un poème. «Les Sept Épées», ou «Lul de Faltenin», sont susceptibles d'interprétations savantes qui se combinent avec un sens général obscène. Enfin, souvent, à l'intérieur d'un groupe à tonalité lyrique et mélancolique perce, en contrepoint, une voix triviale; ainsi, dans «la Chanson du Mal-Aimé»: «Ta mère fit un pet foireux / Et tu naquis de sa colique.»

Dans ce contexte, même les poèmes mélancoliques écrits «À la Santé» prennent une coloration ambiguë, et la simultanéité des interprétations est favorisée par l'absence de ponctuation.

Du lyrisme à l'humour

Apollinaire est à la coïncidence du thème solaire d'Apollon et de l'inspiration mélancolique et lyrique d'Orphée: il baptise «orphisme» l'art de Robert Delaunay, et le poète mythique, inventeur de la lyre, rival d'Apollon en poésie, est au cœur de son inspiration. Deux quatrains des Bestiaires lui sont consacrés, et les références sont innombrables.

Si Alcools est le plus connu des recueils d'Apollinaire, les très beaux Poèmes à Lou, écrits pour la plupart au plus fort de la guerre, parviennent à associer l'amour lointain et la mort proche sur un ton souvent détaché. Apollinaire pratique si aisément l'humour que même ses confidences les plus émouvantes sont parfois à prendre au second degré: le sens de son texte n'est jamais donné, il faut toujours le lire deux fois. Le poète joue non seulement avec les mots, mais aussi avec leur organisation dans la page, comme dans les Calligrammes . Grand connaisseur des poètes français, il élargit son inspiration à ses diverses lectures: vieux grimoires pour «l'Enchanteur pourrissant», romantiques allemands pour les «Rhénanes».

Enfin, le sulfureux «drame surréaliste» les Mamelles de Tirésias a fourni à André Breton le nom même du mouvement, à travers lequel Apollinaire a irrigué toute la poésie du XXe siècle.

Texte emprunté à Yahoo!Encyclopédie

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Quatre lithographies de De Chirico  illustrant Calligrammes de G.Apollinaire