L'art surréaliste
D'abord mouvement littéraire, le surréalisme ne marque ni la danse ni la musique. En revanche, les surréalistes, toujours avides d'exprimer le «fonctionnement réel de la pensée», ont abondamment utilisé les arts plastiques.

Stratégies plastiques
Au-delà de la peinture
La figuration onirique
Les mots entre l'image et le sens
De Paris à New York

Stratégies plastiques


Dans la logique dadaïste, l'art n'était qu'un mesquin marchandage bourgeois, jugement péremptoire auquel n'échappaient pas les avant-gardes les plus radicales. Et le mouvement dada, dans sa volonté de désacraliser l'art et la société, avait élaboré une sorte d'anti-art, dans lequel le hasard restait le moteur essentiel: Marcel Duchamp, Francis Picabia, Max Ernst, Kurt Schwitters, Raoul Hausmann pratiquent collages, assemblages et photomontages. Dada vise la fin de l'art rétinien, mais les moyens d'expression employés renouvellent ce même art, tant décrié. La connaissance de la psychanalyse ainsi que l'assimilation de l'œuvre déroutante de Giorgio De Chirico, chef de file de la peinture métaphysique italienne des années 1910-1920, seront les ferments qui déclencheront le surréalisme pictural, autour de Breton, à partir de 1924. Certains dadaïstes, comme Max Ernst, apporteront toute leur expérience à la nouvelle tendance cristallisée par le groupe surréaliste parisien. Mais si les peintres surréalistes sont liés à la publication des revues et des manifestes, il n'existe pas de vraie tendance picturale ni de doctrine plastique précise. Deux impulsions fondamentales animent cependant l'œuvre de Max Ernst, d'André Masson et, en partie, celle de Salvador Dalí. L'une s'incarne dans l'automatisme psychique et dans l'écriture automatique, deux moyens privilégiés d'exploration onirique; l'autre réside dans l'abolition du contrôle de la raison et dans la mise à l'écart partielle des visées esthétiques de l'art. Corollaire de ces deux stratégies d'expression, on trouvera, comme en poésie, le hasard objectif, la rencontre ou la juxtaposition d'éléments verbaux ou figuratifs inattendus et non complémentaires.
Ainsi, l'image, à l'instar de la poésie surréaliste, s'imposera comme une «dictée» que l'on ne peut refouler ou empêcher. Il s'agira alors, pour le peintre comme pour l'écrivain, de s'habituer à certains mécanismes qui facilitent la montée du «hasard objectif» et de l'écriture automatique: état de demi-sommeil, emploi de stimulants, vitesse d'écriture, peinture gestuelle ou bien encore les associations libres prônées par la psychanalyse. On cherchera, ensuite, les techniques graphiques et picturales aptes à créer cette «sur-réalité» dans laquelle «l'auteur peut assister en spectateur à la naissance de l'œuvre et poursuivre les phases de son développement avec indifférence ou passion» (Ernst et Breton, Qu'est-ce que le surréalisme?, 1934).

Au-delà de la peinture

Dès ses débuts dans le groupe surréaliste, Max Ernst ne tente nullement un transfert de l'image onirique ou une «reproduction» de ses contours ambigus. Il veut, plutôt, se mouvoir dans les marges et régions frontières, entre un inconscient, parfois angoissant, et les contraintes extérieures ou le principe de réalité. Pour ce faire, il intervient activement, sur le plan formel, lorsqu'il faut une reprise en main du message par une rationalité vigilante. Ainsi, dès cette période, ses recherches sont plus tournées vers l'établissement d'un répertoire visuel que vers le refus d'expression. Cette tendance va se manifester en une technique singulièrement évocatrice: le collage. Déjà utilisée par les dadaïstes, cette méthode, avec l'exploitation d'apports plastiques «tout faits», s'approche d'une certaine manière de l'écriture automatique, tout en restant redevable du processus de montage typiquement plastique. Ernst exploite un répertoire marqué par la banalité: images puisées dans des revues de mode, démonstrations scientifiques ou encore illustrations de romans du XIXe siècle. Il opère ensuite, sur ces tracés, à même d'accélérer ses capacités associatives, un travail d'élargissement, jusqu'à la rupture du sens. L'image bascule alors d'une signification évidente à des acceptions parallèles. Le roman-collage la Femme 100 têtes (1929) sera le couronnement de cette démarche, fondamentale dans la première partie du surréalisme (et reprise en 1934 dans Une semaine de bonté). Quelques tableaux, peints à l'huile entre 1921 et 1924, jalonnent un parcours d'une richesse symbolique exceptionnelle. Ernst ne change pas brutalement de registre en fonction du Manifeste du surréalisme de 1924, mais intègre l'influence ancienne de Giorgio De Chirico aux expériences du collage en créant une véritable iconographie surréaliste, immergée dans un érotisme trouble et sourd. Ainsi, l'Éléphant Célèbes (1921), Œdipus Rex (1922), la Révolution, la Nuit (1923) ou Ubu imperator (1923) sont des œuvres toutes orientées vers les transformations analogiques et des introductions à la transparence du rêve, dans la lignée des collages. Enfin, Ernst procédera à un renouvellement de son iconographie en s'appuyant sur deux autres techniques: en 1925, le frottage, et de 1937 à 1944, la décalcomanie, procédé utilisé dans des toiles d'une très grande puissance onirique (l'Europe après la pluie II, 1942; l'Œil du silence, 1944).

La figuration onirique

André Breton et Max Ernst n'avaient jamais tenté de définir, de façon stricte, les principes d'une démarche surréaliste picturale. Salvador Dalí, au contraire, participera dès 1929 au mouvement en manifestant un penchant pour les aperçus théoriques nettement énoncés. Le jeune Catalan, qui pourtant n'a subi ni l'influence de De Chirico ni celle du dadaïsme, s'affirme en effet non seulement à travers des œuvres marquées par une figuration incisive et trouble, mais aussi grâce à une expression théorique explicite. La «paranoïa critique» est formulée en termes clairs dans le texte la Femme visible (1930): tout comme le paranoïaque, Dalí se propose d'utiliser le délire d'interprétation, mais de façon active et contrôlée. Ainsi parviendra-t-il à interpréter et à métamorphoser les aspects objectifs du réel, qu'il tient pour instables et transitoires. Il n'exploitera pas systématiquement cette méthode de travail, mais placera de nombreuses toiles sous le signe de ce délire interprétatif: les Plaisirs illuminés (1929), le Jeu lugubre (1929), la Métamorphose de Narcisse (1937), jusqu'au Torero hallucinogène de 1970.

Dalí s'intéresse aussi aux pouvoirs propres à l'objet qu'il dévie, dénature, métamorphose, en réalisant des assemblages-statues, dans lesquels il reprend ses démarches oniriques et délirantes (Téléphone-Homard, 1936; Vénus de Milo aux tiroirs, 1936-1964). Après 1945, il appliquera ses théories à certains thèmes religieux, en créant, peut-être, une des toutes dernières iconographies chrétiennes du XXe siècle (le Christ de saint Jean de la Croix, 1951; Crucifixion, 1954; Santiago el Grande, 1957). Ses créations ultérieures, souvent inspirées par la grande tradition picturale européenne, témoignent d'une forte charge novatrice et d'un curieux alliage de tradition et de sens de l'avant-garde iconoclaste.

Au-delà des déclarations théoriques et politiques provocatrices, Dalí marque de son œuvre toute l'aventure surréaliste de l'entre-deux-guerres, en se démarquant très nettement des réalisations d'Ernst et de Magritte, et en affirmant une totale indépendance d'esprit et une extrême cohérence de ses approches théoriques.

Les mots entre l'image et le sens


Le Belge Magritte, bien qu'éloigné du groupe surréaliste parisien, développera à partir de 1925 une thématique picturale fondée sur la figuration, mais ouverte à toutes les suggestions surréalistes. En même temps, ce révolutionnaire qui vit en bon bourgeois élaborera une «réflexion visuelle» portant sur le sens des mots, ainsi que sur les rapports, forcément ambigus, qui peuvent exister entre les mots et les images peintes qui les incarnent. En décembre 1929, dans la Révolution surréaliste , le peintre publie «les Mots et les Images», qu'il veut «manuel» illustré dans lequel il détourne, altère, inverse les rapports traditionnels existant entre les mots et leur définition en signes plastiques. «Un objet ne tient pas tellement à son nom qu'on ne puisse lui en trouver un autre qui lui convient mieux», déclare-t-il, affirmant une approche qui aboutira au fameux Ceci n'est pas une pipe (1929) – dans lequel les lois de l'absurde sont poussées à leurs ultimes conclusions –, ainsi qu'à la Clef des songes (1930), véritable abécédaire de l'illogisme militant.

Profondément influencé par l'œuvre de Giorgio De Chirico – et en particulier par le Chant d'amour (1914) –, Magritte s'attache aussi à altérer les rapports existant entre le titre et le tableau, entre l'image peinte et les mots qui l'expliquent et l'accompagnent. Ainsi les légendes peuvent-elles être en franche opposition avec l'image, en être une variation analogique ou encore une fausse explication (les Six Éléments, 1928; Au seuil de la liberté, 1929; la Condition humaine II , 1935; les Vacances de Hegel, 1958).

Malgré les profondes similitudes qui relient son œuvre à la démarche surréaliste, Magritte refusera toujours l'apport de l'onirisme et de la psychanalyse, qu'Ernst et Dalí avaient intégrés dans leurs tableaux. D'ailleurs, après 1928, troublé par les attaques des surréalistes contre l'évolution de la peinture de De Chirico, il s'éloigne du groupe parisien pour élaborer davantage ses recherches personnelles. Magritte meurt en 1967; quelques mois auparavant, il réalise des dessins minutieux pour huit sculptures en bronze, qui seront exécutées après sa disparition.

De Paris à New York


Le surréalisme se fonde, en grande partie, sur l'onirisme figuratif – d'un Yves Tanguy, qui s'affirme peut-être comme le plus rêveur de ses représentants, à un Paul Delvaux, qui peuple ses gares nocturnes de femmes nues –, mais d'autres systèmes picturaux ponctuent son aventure, des artistes très divers expriment leurs univers personnels à travers autant de techniques: des décalcomanies d'Óscar Domínguez aux peintures à la cire du Roumain Victor Brauner et aux fumages de l'Autrichien Wolfgang Paalen, de la sensualité mystérieuse des œuvres de l'Américaine Dorothea Tanning à l'érotisme sombre des huiles de la Tchèque Toyen ou à celui, franchement sadique, de Félix Labisse, des montages du Suisse Alberto Giacometti aux dessins et à la Poupée de l'Allemand Hans Bellmer, de la naïveté anticléricale de Clovis Trouille à la nette tendance à l'abstraction de Jean Arp, des toiles ludiques de l'Espagnol Joan Miró aux tourbillons lyriques du Chilien Roberto Matta, des figures féminines ambiguës de l'Italienne Léonor Fini au Déjeuner en fourrure (1936) – tasse, soucoupe et petite cuillère recouvertes de vraie fourrure – de la Suisse Meret Oppenheim. Quant à André Masson, qui rencontre Breton dès 1923, il se situe dans la mouvance surréaliste, dont il est certainement l'un des pionniers, en particulier grâce à ses remarquables dessins automatiques, dans lesquels il allie le geste à des traces figuratives et symboliques; cependant, étranger au dadaïsme et à l'influence de De Chirico, ce peintre se dirigera bientôt vers d'autres démarches, éloignées du surréalisme. Personnalité inclassable et indépendante, Masson sera plutôt un expérimentateur érudit, en marge de tout mouvement constitué. Séjournant pendant la guerre aux États-Unis, il y exercera, avec Breton, une très notable influence: du surréalisme découle la spontanéité automatique d'un Jackson Pollock et de l'expressionnisme abstrait new-yorkais.

Texte emprunté à Yahoo!Encyclopédie.

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