Les centaures

(...) Quant à l'homme à cheval, il fait mieux que garder intacte sa propre personnalité; il se centaurise : il devient condottière, conquistador, chevalier errant.          A. Savinio

Centaure mourrant (1909)
Giorgio de Chirico est né en Tessalie, au pays des Centaures, il va être très influencé par ce thème. 

 

Lutte de centaures (1909)
Ce tableau prend également sa source dans un tableau d'Arnold Bocklin,
Bataille de centaures (1872-1873)
Arnold Bocklin

 

Extrait d'Hebdomeros :

 

"Hebdomeros ne pouvait être de l’avis de ces septiques qui trouvaient que tout cela c’était des fables et que les centaures n’avaient jamais existé, pas plus que les faunes, les sirènes et les tritons. Comme pour prouver le contraire ils étaient tous à la porte, qui piaffaient et chassaient à grands coups de queue les mouches qui s’obstinaient sur leurs flancs parcourus de frissons ; ils étaient tous là, ces centaures à la croupe tachetée ; parmi eux il y avait des vieillards, de vieux centaures ; ils étaient plus grands que les autres, bien que plus maigres ; ils paraissaient comme desséchés et comme si leurs os sous le poids des années se fussent élargis et allongés ; à l’ombre des épais sourcils blancs qui contrastaient curieusement avec la couleur foncée de leur visage, on voyait leurs yeux céruléens et doux comme les yeux des enfants nordiques ; leur regard était imprégné d’une tristesse infinie (la tristesse des demi-dieux) ; il était attentif et immobile comme le regard des marins, des montagnards, des chasseurs d’aigles et de chamois, et en général le regard de ceux qui sont habitués à regarder de très loin et de très loin à distinguer les hommes, les animaux et les choses. Les autres, plus jeunes, se flanquaient entre eux de grandes tapes à mains ouvertes et s’amusaient à lancer des ruades contre les palissades des jardins potagers. Parfois un centaure adulte se détachait du groupe et s’en allait au petit trot par les sentiers qui descendaient jusqu’au fleuve ; là il s’arrêtait à causer avec les blanchisseuses qui, à genoux sur la rive, battaient leur linge. A l’approche de l’homme-cheval les plus jeunes s’inquiétaient. Hebdomeros, qui plus d’une fois avait assisté à cette scène, était toujours intrigué par l’inquiétude des jeunes blanchisseuses ; mais cette fois il crut en avoir découvert la raison : -ce sont sûrement des réminiscences d’ordre mythologique qui les inquiètent, se disait-il à lui-même ; et il continuait à penser : -hantée par ces réminiscences, leur imagination féminine, toujours prête à se figurer le drame, voit déjà l’enlèvement ;  le centaure traversant le fleuve au milieu des remous et entraînant avec lui la femme hurlante et échevelée comme une bacchante ivre ; Hercule, sur la rive, décochant avec effort et en ahanant ses dards empoisonnés ; et puis la chlamyde trempée de sang ; la chlamyde dont la couleur s’assombrit et devient comme la couleur de la lie de vin, et qui se colle indélébilement sur le torse du centaure qu’elle moule d’une façon parfaite.

Mais les plus âgées les rassuraient en disant qu’il n’y avait rien à craindre, au moins pour le moment (…)"

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