Le Surréalisme
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Personnalités Le manifeste du Surréalisme |
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Mouvement poétique et artistique apparu en France
au lendemain de la Première Guerre mondiale, le surréalisme oppose à
l'ordre et aux conventions un joyeux esprit de libération, voire de révolte,
et déchaîne la puissance créatrice issue du rêve, du désir et de
l'instinct; il trouvera des échos de la Belgique à l'Europe centrale,
des États-Unis à l'Amérique latine.
Une
vision du monde Certes, le surréalisme s'est constitué autour d'une personnalité phare, celle de l'écrivain André Breton. Il ne reste pas moins que son organisation, délibérément collective, interdit qu'on le lise au travers des œuvres d'un seul: le surréalisme est un mode de vie, qui a besoin de revues, de tracts, d'actions spectaculaires et d'activités continues pour être créateur. Une vision du mondePhilosophie, éthique, politique, esthétique, il n'est pas de domaine de la pensée ni de l'action sur lequel le surréalisme ne se soit nettement prononcé. En tant que vision du monde, le surréalisme est exigeant, complexe, et ce d'autant plus que son histoire, pendant un demi-siècle, a accompagné, en s'y mêlant étroitement, l'Histoire. Pourtant, bien éloigné de cette difficulté et de cette richesse originelles, le mot «surréalisme», banalisé, recouvre trop souvent une simple somme de procédés (écriture automatique, collages, associations libres) à la portée de tout un chacun, et «surréaliste» a fini par désigner toute attitude ou situation cocasse et absurde.Mouvement de libération de l'esprit«Le surréalisme n'est pas un moyen d'expression nouveau ou plus facile, ni même une métaphysique de la poésie. Il est un moyen de libération totale de l'esprit et de tout ce qui lui ressemble»: cette définition, extraite d'un tract, met l'accent sur l'essentiel; d'autres suivront, nombreuses, car le surréalisme s'est théorisé dans des manifestes, s'est construit dans des revues, s'est débattu passionnément dans des réunions de groupe. De toute cette activité militante, créatrice, politique autant que poétique, il sortira plus riche, plus mouvant puisqu'il s'est voulu une découverte permanente. Mais toujours fidèle à son mot-clé, «libération», et donc en lutte contre toutes les formes d'oppression du corps et de l'esprit: contre la platitude du réalisme positif qui confond le réel avec la pauvre perception qu'il en a; contre la logique, «la plus haïssable des prisons» (Breton); contre l'écrasement social; contre la littérature, si elle se borne à exprimer ce qui est déjà là. En même temps, cette conquête de liberté doit chercher de nouveaux supports – le tract, par exemple –, et elle se rêve collective, illustrant le mot du comte de Lautréamont: «La poésie doit être faite par tous.»Mouvement de révolteSi le surréalisme a des origines historiques et esthétiques repérables, revendiquées par les surréalistes eux-mêmes, il se dessine pourtant, quand commence véritablement le XXe siècle (c'est-à-dire en 1918), comme un mouvement de révolte absolue, d'insoumission totale et de sabotage en règle. Il est en même temps une réaction radicale et étrangement brûlante à la ruine de la civilisation occidentale et de ses valeurs que vient de consommer la «Grande Guerre». En 1918, Breton a vingt-deux ans. Les jeunes gens d'alors ne peuvent qu'être horrifiés au sortir de ce cauchemar menteur et inutile, et trouvent l'espoir dans les forces révolutionnaires, au moment où, justement, éclate la révolution bolchevique. L'aventure historique du surréalisme est parallèle à celle du communisme: entre le souvenir rêvé de la Commune et des lames de fond en matière d'art et de poésie qui l'avaient accompagnée (Rimbaud, Lautréamont) et le léninisme, bientôt le trotskisme, dont ils sont contemporains, André Breton, Louis Aragon, Antonin Artaud, René Crevel, Robert Desnos, Paul Eluard, Benjamin Péret, Francis Picabia, Philippe Soupault, Tristan Tzara inventeront les possibles de l'esprit nouveau, prenant au mot l'injonction de Rimbaud: «Il faut être absolument moderne.» Les héritiers de dadaLa crise spirituelle et intellectuelle des années 1920 dont le surréalisme procède intégralement avait pris une forme brutalement avant-gardiste dès 1916, en Suisse et en Allemagne, où un jeune Roumain, Tristan Tzara, avait lancé l'aventure dada.Des avant-gardistesPris au hasard dans un dictionnaire, le mot «dada» devient le nom de ce nouvel état d'esprit, pétri de dégoût, de nihilisme, d'anarchisme et d'humour noir, perméable à toutes les formes de création modernes ou marginales du moment (en peinture, cubisme et expressionnisme; en littérature, futurisme et simultanéisme, ouverts au dandysme désespéré à la manière de Jarry). Un premier Manifeste en 1916, un deuxième en 1918, décisif puisqu'il appelait à la subversion absolue, ont donné au dadaïsme un rayonnement international. Aux États-Unis notamment, Francis Picabia et Marcel Duchamp ont jeté la peinture dans un désarroi total, le premier en privilégiant les compositions mécaniques (toute la génération des années 1920 est fascinée par les machines), le second en inventant le ready-made, simple objet manufacturé devenu «œuvre d'art» par le choix de Duchamp, qui le signe.Breton et TzaraQuand il arrive à Paris en 1919, Tzara a de quoi séduire Breton et son groupe: le Manifeste de 1918 ne contient-il pas ces lignes sulfureuses et poétiques où on appelle dada «tout produit du dégoût susceptible de devenir une négation de la famille», «protestation aux poings de tout son être en action destructive», «abolition de la logique, danse des impuissants de la création», où enfin dada est le nom de la liberté et de la vie mêmes?Breton et Tzara feront un bout de chemin ensemble: tracts, manifestes, provocations de toutes sortes attirent l'attention sur eux, et Soupault, ami de Breton, lance une équation qui pouvait convenir aux uns et aux autres: «L'Art et la Beauté = RIEN.» Mais l'entente n'était que de surface et, dès 1922, Breton se sépare de Tzara, auquel il reproche son nihilisme gratuit. Le malentendu était profond: le groupe de Breton vient d'un tout autre lieu mental et culturel que dada. Et dans ce lieu, il y a une place pour la beauté, pour la poésie, pour l'amour et pour le lyrisme. La révolution surréalisteQuand Breton avait rencontré Tzara, il dirigeait déjà la revue Littérature avec Aragon et Soupault. C'est également d'une collaboration avec ce dernier que, dès 1919, étaient sortis les Champs magnétiques, texte automatique – c'est-à-dire écrit sous la «dictée de la pensée, en l'absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale» (Breton, Premier Manifeste) –, dont l'enjeu était d'explorer «le fonctionnement réel de la pensée». Médecin, Breton a soigné des psychotiques. Familier des thèses freudiennes, il est fasciné par les états de sommeil et de rêve, par l'immense continent inexploré de l'inconscient, par les créations que permet la folie. Origines du mot «surréalisme»«Surréalisme» suggère assez bien quels domaines d'élection le groupe se donne, et ce mot lui-même renvoie à une tradition poétique antérieure: à Nerval, inventeur du «supernaturalisme», père spirituel du groupe; à Apollinaire, ami de Breton, qui vient de mourir et en hommage auquel «surréalisme» sera retenu, parce que l'adjectif «surréaliste» figurait dans la préface des Mamelles de Tirésias. Plus généralement, le surréalisme se réclame de la poésie du XIXe siècle – Baudelaire, pour l'imagination, «reine des facultés»; Rimbaud, pour la voyance et la révolte; Lautréamont, pour la cruauté – et de tous ceux qu'énumère Breton dans l'Anthologie de l'humour noir (1940). Il trouve également des intercesseurs dans les «trois grands émancipateurs du désir», selon Breton – Sade, Freud, Fourier –, tout en se prévalant du roman noir et de la tradition ésotérique même, dans laquelle s'aboliraient les antagonismes (entre le réel et le surréel, la veille et le sommeil, la vie et la mort). Sa pierre philosophale est l'imagination, capable de réaliser l'alchimie verbale, ce qui permet au surréalisme de demeurer matérialiste, bien qu'il fût sans aucun doute attiré par l'irrationnel et le magique.Synthèse du politique et du poétiqueAu néant auquel aspirait dada, le surréalisme substitue un plein, tant poétique que politique. Si l'on esquisse en effet la ligne politique de Breton et de plusieurs de ses camarades, on trouve non plus le nihilisme, mais la récusation virulente de l'ordre capitaliste, marquée par des tendances insurrectionnelles vives (le pamphlet Un cadavre, à la mort d'Anatole France, en 1924, est une exécution de la littérature française, mais aussi de la morale et du conformisme réactionnaire) et par des mots d'ordre extrêmement périlleux alors; dans la revue la Révolution surréaliste , on pourra lire: «Ouvrez les prisons... Licenciez l'armée!» ou, sous la plume âpre d'Artaud, un procès de la psychiatrie. Breton réalise bientôt la synthèse du politique et du poétique; très tôt, entre le «changer la vie» de Rimbaud et le «transformer le monde» de Marx, il veut le surréalisme «au service de la révolution», et, à partir de 1925, il rapproche les surréalistes du parti communiste, auquel, avec Eluard et Aragon, il adhère en 1927. Il en sera exclu six ans plus tard; le rapprochement avec les communistes était fait de malentendus profonds, que Breton n'ignorait pas: le surréalisme partait vers l'inconnu intérieur, se réclamait de Freud, détestait le réalisme – bientôt esthétique officielle de l'Union soviétique – et vomissait l'idée de l'art engagé. Jusqu'à la fin, Breton demeurera fidèle à la nécessité de l'action révolutionnaire (Position politique du surréalisme, 1935); nombre de surréalistes seront résistants ou, comme Desnos, mourront en déportation.Période d'intense activité: 1921-1924Cette période est l'une des plus fécondes: Paul Eluard et Benjamin Péret se joignent au groupe; René Crevel, Roger Vitrac, Robert Desnos, Georges Limbour sont plus que des compagnons; Michel Leiris, Antonin Artaud, Georges Bataille sont là, et les dissensions ne se sont pas encore fait jour. Le recueil de poèmes de Breton Clair de terre paraît en 1923. L'année suivante, Péret (Immortelle maladie), Eluard (Mourir de ne pas mourir), Desnos (Deuil pour deuil) et Aragon (le Libertinage) témoignent d'une activité intense. Le Manifeste du surréalisme date de cette année 1924, qui voit aussi naître – remplaçant la revue Littérature – la Révolution surréaliste (dont le douzième et dernier numéro paraîtra en 1929). Une exploration de l'inconscientL'essentiel concerne alors l'exploration passionnée de tous les mondes inaccessibles au réalisme et à la doctrine de l'expression: expérience des sommeils (la pensée parlée sous état d'hypnose), phrases qui «cognent à la vitre» au moment où le dormeur va glisser dans le sommeil, et qu'il s'agit de saisir en écrivant le plus vite possible sous cette dictée de l'inconscient. La logique de ce fonctionnement est d'une autre nature que celle qui fonde le système social: à nouveau poésie et politique se rencontrent, abolissant les frontières habituelles comme dans une autre expérience, celle de la simulation des délires (Eluard et Breton, l'Immaculée Conception, 1930). Dès lors la création lucide et réfléchie est rejetée au nom de l'écriture inspirée, que Breton et Tzara rapprochent du «penser non dirigé» des sociétés africaines et océaniennes, tandis qu'Artaud est fasciné, lui, par l'Extrême-Orient et son théâtre, contre le théâtre occidental (le Théâtre et son double, 1938). Cette défense de l'inspiration n'a cependant rien de spiritualiste: le pouvoir visionnaire est dans le langage – singulièrement dans la poésie –, auquel Breton se confie sans retenue. Ce langage-là est une pratique des mots en liberté, qui n'exprime pas un déjà-là, mais crée: ainsi, dans Point du jour (1934), Breton se propose de «brouiller l'ordre des mots» pour attenter à celui des choses.Le «cadavre exquis»La pratique des jeux de mots surréalistes va dans le même sens: elle conduira les mots à «faire l'amour» (les Pas perdus, 1924). La poésie, pour Breton, est une éthique.En 1925, les surréalistes se livrent à une sorte d'écriture automatique collective qui consiste à écrire un mot sur une feuille de papier, avant de la replier et de la passer au voisin, qui écrit un autre mot, et ainsi de suite: sujet, adjectif, verbe, complément s'enchaînent jusqu'à former une phrase, dont l'invention verbale est laissée au hasard et à l'impulsion du moment. L'une des premières phrases, aussi inattendues que poétiques, ainsi créées sera: «Le cadavre exquis boira le vin nouveau»; à peine inventé, le jeu, très en faveur entre 1925 et 1930, a trouvé son nom. La beauté convulsiveJusqu'au Second Manifeste (1930), suscité par les attaques de ceux qui n'admettent ni ses positions esthétiques ni ses positions politiques, Breton rayonne sur le groupe. Des œuvres majeures paraissent entre 1925 et 1930: l'Ombilic des limbes d'Artaud, Mon Corps et moi de Crevel, en 1925; le Paysan de Paris (où s'écrit la mythologie d'un autre Paris) d'Aragon, Capitale de la douleur d'Eluard, en 1926; le Pèse-nerfs d'Artaud et la Liberté ou l'Amour de Desnos, en 1927; enfin,l'année suivante, le Traité du style d'Aragon, Nadja de Breton, le Grand Jeu de Péret. Quand Breton, dans le Second Manifeste, répond à ses détracteurs, c'est pour exalter ce «point de l'esprit d'où la vie et la mort, le réel et l'imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l'incommunicable, le haut et le bas, cessent d'être perçus contradictoirement». Le surréalisme développe les pouvoirs du «stupéfiant image», «création pure de l'esprit», selon Pierre Reverdy, et qui naît du rapprochement de deux réalités plus ou moins éloignées («la Rosée à tête de chatte», «les Yeux de fougère», écrit Breton). Ces pouvoirs sont la beauté – laquelle sera «convulsive», selon la formule de l'Amour fou (1937), reprise dans le Minotaure (1933-1938), la revue d'Albert Skira –, la lumière, la fulgurance d'une révélation: dans Nadja, l'Union libre (1931) et l'Amour fou, les fascinations en sont déployées par Breton, de plus en plus hanté par l'amour (sur quoi la Révolution surréaliste lance alors une grande enquête). Il y a une érotique du surréalisme (de laquelle Eluard participe autant que Breton), où l'amour apparaît comme ce point suprême où se révèle l'universelle analogie et où le corps féminin irradie sur le monde. L'éclatement du groupeÀ la fin de la Seconde Guerre mondiale, de nombreux surréalistes continuent à écrire, mais leurs chemins ont définitivement divergé. Seul Breton a gardé intacte la flamme des débuts: après avoir hésité en 1942 sur l'opportunité d'un troisième manifeste (Prolégomènes à un troisième manifeste du surréalisme ou non), il a rapporté de son exil américain Arcane 17, où il relate l'attente quotidienne du merveilleux. Il fera paraître encore un essai, la Clé des champs (1953), mais l'essentiel tient alors dans l'aura qui l'entoure, ce que reconnaîtront quelques-uns de ceux que le surréalisme a formés, de Julien Gracq à André Pieyre de Mandiargues: il a synthétisé en lui tout ce qui comptait, puissance déflagrante de l'onirisme et de l'image, attente lyrique de la «merveille», conquête exaltée de l'amour fou et du droit de vivre, ici et ailleurs, dans tous les mondes ouverts par la force déferlante du désir. Il était juste que le surréalisme vécût en lui et qu'aujourd'hui, quand on voit des traces de l'esthétique qu'il a inventée (au cinéma, dans la publicité, dans bien des objets quotidiens), ce fût d'abord la mémoire de Breton qui surgisse.Texte emprunté à Yahoo!Encyclopédie Données encyclopédiques, copyright © 2001
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